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Le blog de Juninho

Vice-champion du monde ? Sérieusement ?!

13 Juin 2019 , Rédigé par Cédric Junillon Publié dans #Racketlon

Vice-champion du monde ? Sérieusement ?!

Beaucoup d'entre vous étaient en Belgique pour voir / jouer les Championnats du Monde de Double, d'autres ont suivi le match en ligne ou vu les photos publiées, mais oui, c'est vrai, on a fini vice-champions du monde. L'histoire est si dingue que cela méritait forcément un article de mon blog, et j'ai pensé que cela pourrait être une bonne occasion de décrire également le fonctionnement du Racketlon en Double et ses particularités par rapport aux doubles des sports séparés.

Une bonne équipe, c’est avant tout 2 personnes qui s’aiment bien. Et cette histoire commence par une grande preuve d'amitié: mon ami Arnaud Génin est devenu l'une des superstars du World Tour (gagnant 3 tournois et montant à la 8ème place du classement en simple) depuis que j'avais pris ma retraite aux Mondiaux de simple l’été passé à Zürich. Je ne m'entraînais plus, mais il m'a quand même demandé de faire équipe avec lui pour la plus grande compétition du monde. C’est vrai qu’on avait toujours été très bons ensemble (une seule défaite dans les 3 épreuves disputées par le passé), mais il est certain qu’il pouvait trouver un meilleur partenaire qu’un vieux qui n’avait plus le temps de s’entraîner. Mais 3 mois avant le tournoi, il m’a dit: "Soit tu joues avec moi, soit je ne les joue pas". Lorsque vous entendez cela, vous recevez deux signaux contradictoires:

- Dans le cœur: une grande bouffée d'amour pour votre poto, et une dose de fierté d'être «l'élu»

- Dans la tête: ALERTE: t’es en surpoids et pas du tout entraîné, faudra tâcher de pas être ridicule !

Mais bien sûr, c’est une offre qui ne se refuse pas, d’autant plus que l’aspect physique est secondaire dans une compétition de double, et me voici inscrit aux Championnats du monde Élite à nouveau !

Après m’être inscrit, j'ai reçu quelques propositions de bonnes joueuses pour jouer les doubles mixtes en même temps, mais aussi flatteur que ce soit, je devais les refuser car il me faudrait utiliser judicieusement chaque once d’énergie physique et mentale pour être au niveau de mon partenaire.

Il y a deux différences majeures entre les doubles au Racketlon ou les doubles de chacun des « sports individuels »:

- au Racketlon, les joueurs de simples jouent également les doubles à chaque tournoi, il n'y a pas de spécialisation « simple ou double », et donc tous les meilleurs sont là

- alors que dans les sports individuels, les deux joueurs de l’équipe ont à peu près le même niveau, au Racketlon, il s’agit d’être aussi complémentaire que possible au niveau des profils de forces/faiblesses en sachant que tous les sports ne sont pas égaux en ce qui concerne la possibilité de compenser pour votre partenaire.


Voyons cela plus en détail :

Tennis de table: je suis un très bon joueur de TT mais c’est le point faible d’Arnaud. Et comme dans ce sport, les deux joueurs doivent frapper la balle à tour de rôle, ma capacité à le tirer vers le haut est très limitée. Comme nous sommes aussi droitiers, nous devons nous tourner autour si nous voulons frapper plus de coups droits, ce qui n’est pas optimal. En conséquence, je ne peux pas lui apporter autant que je le souhaiterais sur son sport faible. La partie où vous pouvez apporter beaucoup en revanche est en donnant des conseils entre les points sur ce que le joueur le moins inexpérimenté pourrait / devrait faire car c’est probablement le sport le plus technique et tactique de tous.
Très bon (Cédric) + Moyen (Arnaud) = Pas trop mal (Équipe)
 


Badminton: mon pire sport et le meilleur d’Arnaud, lui qui a remporté des tournois professionnels internationaux. Dans ce sport, il existe des options tactiques pour utiliser efficacement l’élément le plus faible. En gros, je collais au filet et ne prenais que les rares volants courts qui venaient à moi tandis que mon partenaire de classe mondiale martelait tout depuis derrière, jouant tous les coups les plus difficiles. C’est une sorte de configuration de double mixte (avec moi dans le rôle de la fille) sauf que je joue délibérément moins de volants car mon partenaire est très au-dessus de tout autre joueur sur le terrain. Même si vous ne jouez pas plus de 30% des volants, c'est extrêmement stressant et je tremblais souvent avant de servir car, que ce soit au service, au retour ou au filet, vous devez être parfait: votre partenaire fait tout le travail, vous ne pouvez pas donner un point gratuit qui peut coûter cher en fin de match. Je dois avouer qu’avant la compétition, j’avais suivi deux cours particuliers sur «Comment être une bonne fille en double mixte» avec mon ancien entraîneur de badminton ! En fait, ma faiblesse relative dans ce sport était un atout dans notre association car je me concentrais pour faire très peu mais correctement. Si Arnaud s’était associé à un meilleur joueur que moi, l’équipe aurait paradoxalement sûrement été plus faible, car il aurait pris plus de place et de volants que moi et aurait gêné Arnaud.
Moyen (Cédric) + Sensationnel (Arnaud) = Sensationnelle (Équipe)

Squash: au Racketlon, le double de squash est un relais; quand un des deux premiers joueurs atteint 11 points, les deuxièmes joueurs viennent terminer le set jusqu'à 21. Cela signifie que vous placez normalement votre meilleur joueur en deuxième position pour lui permettre de compenser un déficit initial, dans une seconde moitié qui devrait durer plus longtemps. Par conséquent, il est essentiel d’avoir dans une bonne équipe au moins un très bon spécialiste du squash pour éventuellement renverser la situation et rattraper totalement la faiblesse de son partenaire. Bien sûr, il n’y avait aucune discussion sur le fait que j’allais commencer, et dans cette position, je devais tout donner sur un simple jeu normal jusqu’à 11pts, mon corps pouvait supporter cela. Cela signifie également que je joue le plus faible des deux adversaires, et contre un non-spécialiste, je donnerais toujours quelques points d'avance à Arnaud, qui devait ensuite se battre à chaque balle contre le spécialiste de l’autre équipe pour garder la tête.
Assez bon (Cédric) + Bon (Arnaud) = Bon (équipe)

Tennis: une paire de tennis performante, c’est généralement 2 joueurs avec un bon service et une bonne volée. C’est exactement le profil d’Arnaud, et même si je suis plus un joueur en simple, je peux aussi être pénible en double grâce à des bons retours et un bon toucher. Ajoutez à ça le fait que ça ne me pose pas de problème de prendre le côté revers, ce qui laisse à Arnaud son côté favori, encore une fois, ça donne une équipe bien complémentaire.
Lorsqu'il y a une énorme différence entre les 2 joueurs, le meilleur peut essayer de couvrir beaucoup de terrain, de se déplacer beaucoup au filet, mais le tennis est quand même un sport où vous ne pouvez pas compenser autant que dans les 2 sports précédents. Et comme dans le tennis simple Racketlon, la compétence la plus importante est mentale, car c’est le sport décisif où l’on peut craquer totalement sous la pression.
Bon (Cédric) + Bon (Arnaud) = Bon (équipe)

 

Bien que nous n’ayons pas joué ensemble depuis longtemps, dès le début du premier match, tout paraissait aussi huilé qu’avant. Le tableau Elite en Double Messieurs commençait en 1/8èmes et grâce à un tirage au sort assez clément pour notre premier match face à une paire germano-hollandaise, on s’est retrouvés en quart sans avoir eu besoin de sortir nos raquettes de tennis. En quarts, nous attendaient deux anglais, têtes de séries, spécialistes du TT (Jordan) et du Squash (Stahl), ce qui aurait pu s'avérer un match difficile. Mais après avoir réussi à perdre seulement 19-21 au tennis de table, on savait que le plus dur était derrière nous et nous avions tellement d’avance après le squash que nos adversaires nous ont concédé la victoire sans avoir à jouer au tennis. Cette première journée avait été comme un rêve et nous étions maintenant en demi-finale, mais les 3 équipes qui allaient y être avec nous, c’était du lourd et personne ne comptait revenir avec la médaille en chocolat !

La nuit a été courte et agitée à tourner dans tous les sens en pensant à cette demie ou on serait opposés à un gros duo nouvellement formé, composé d'un ancien champion du monde en simple (Reid) et de l'un des meilleurs joueurs du moment (Radermacher). Ils étaient clairement favoris contre nous et la moitié des parieurs d'avant-tournoi les avaient désignés pour devenir les nouveaux champions du monde. C’est un euphémisme de dire que nous étions tendus comme Natacha lorsque nous nous sommes échauffés. On taira d’ailleurs le fait que le match commença avec 5 minutes de retard, car Arnaud était introuvable… sauf pour qui aurait fait un sit-in devant les toilettes.

Une fois que le match a démarré par contre, toute crainte et toute négativité ont disparu ce qui nous a permis de sortir «le match parfait». Ça n’arrive presque jamais de terminer une partie de Racketlon avec l’impression d’avoir fait le meilleur score possible dans les 4 sports, mais quel meilleur moment pour que cela se produise que là ?! Gagnant le tennis de table 21-15 et le badminton 21-10, on se retrouvait à +17 à mi-chemin, et l’exploit commençait à sembler possible ! Jouant une bonne première mi-temps de squash, j’ai passé le témoin à Arnaud avec une avance de 11-7, qui devait tenter de glaner quelques points contre l’écossais Calum Reid, sans doute le meilleur joueur de squash de ces mondiaux. Combattant magnifiquement et réussissant à empocher 7 points, ça se finit à 18-21, nous laissant à +14 avant le tennis. Ça sentait bon mais il fallait rester concentrés pour finir le travail. Mais une fois sur le terrain de tennis, nous avons rapidement constaté que nos adversaires étaient un peu groggys se demandant probablement comment ça avait pu si mal tourner. Donc 8-3 pour nous au tennis, pas vraiment un combat, mais juste un énorme soulagement, nous sommes en finale !!

 

Au pire maintenant, nous avions l'argent, mais il y avait un titre mondial à aller chercher sur un match face aux danois tête de série #1 Jaksland (n°1 en double) et Hougaard (n°2), que l'autre moitié des parieurs d'avant-tournoi avait pronostiqués !

Nous savions qu'ils n'étaient pas un bon profil pour nous car leur faiblesse était au badminton, là où nous étions injouables (enfin nous… on se comprend), et comme le squash et le tennis étaient leurs meilleurs, nous aurions besoin de sortir des 2 premiers sports avec une grosse avance pour avoir une chance. Cependant, le Ping ne s’est pas déroulé comme espéré. Après un départ intéressant jusqu’à 7-7, ils nous ont complètement bouffé et ont terminé à 21-9. Je pense que j'aurais dû faire mieux en tant que spécialiste, en essayant d'être plus actif, mais à vrai dire, ils ont incroyablement bien joué, étant agressifs à chaque balle et ne ratant rien… Même si on savait qu’être à -12 avant le badminton était quasi déjà irrattrapable, on a tenté de relever la tête. Comme prévu, on ramena le score à +1 après le badminton, mais de nouveau à -7 après le squash, et nos adversaires avaient donc juste besoin de 15 petits points au tennis. Ils sont arrivés à 15-12 sans qu’on arrive à les pousser dans un combat suffisamment proche où ils auraient pu sentir la tension de la victoire.

Bien que nous n’ayons pas joué aussi bien que lors de la demie, nous n’avions pas non plus raté notre match, il faut bien le reconnaître quand vos adversaires sont tout simplement meilleurs.

Mais la déception n’a pas duré longtemps, surtout en voyant qu’on était en belle compagnie sur le podium, et à titre personnel d’avoir pu faire honneur à la « proposition indécente » d’Arnaud d’être venu me chercher. S'il m'avait dit en mars que trois mois plus tard, nous serions vice-champions du monde, je lui aurais ri au nez.


Les succès en simple sont les plus forts parce que c'est plus difficile : cela ne dépend que de vos capacités mentales, de votre talent, du travail que vous avez fourni et, par définition, vous avez 2x plus d’adversaires au haut niveau qu’en double. Cela apaise vos doutes, vos angoisses, augmente votre confiance en vous et récompense tous ces efforts.

Mais les réalisations en double apportent quelque chose de totalement différent: il s’agit d’une alchimie de jeux, de tactique, de personnalités et d’émotions, non seulement sur le terrain mais aussi en termes de planification des moments d’alimentation, de repos et d’échauffement... Et quand cela fonctionne bien, partager ces moments incroyables avec quelqu'un d'autre crée une véritable aventure humaine et laisse des souvenirs qui ne s'effaceront jamais.

Pour remercier ceux qui nous ont soutenu, et encore plus courageux ceux qui ont lu ceci jusqu'au bout, voici 3 photos inédites de mon partenaire en phase intense de concentration...

"Mon meilleur 'coup', ce qui m'a permet de faire une belle carrière, c'est ma capacité à dormir partout et à n'importe quel moment" (F. Santoro)
"N'utilisez pas le mot 'cheap'. Aujourd'hui tout le monde peut avoir l'air classe même avec des vêtements bon marché" (K. Lagerfeld)

 

 

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